J'ai arrêté de fumer, j'ai perdu cinq kilos, j'ai signé un contrat d'édition, je met des chemises, je repeins mes rêves en blanc, j'ai ma carte d'électeur...
Putain je me dégoûte et j'arrive plus à écrire.
Finalement les mauvaises habitudes me rendent meilleur.
En espérant que ça me foute un coup de pied au cul, je livre au monde le prologue de mon roman qui n'en fini plus de ne plus se finir.
PROLOGUE
ENZO
ITALIAN DELIVERY BOY
La
lanière de sécurité de son casque lui cisaillait le cou et Enzo la desserra
d’un geste sec. L’air frais du matin, chargé de particules fines lui emplit les
poumons, contrastant avec le feu qui lui brûlait les mollets à chaque coup de
pédale. Mais Enzo ne pouvait pas ralentir, il était déjà en retard. Sans avoir
à regarder sa montre, il en était conscient et redoubla d’efforts.
La
playlist de son I-pod switcha des Primal Scream à un bootleg de Galvanize des
Chemical Brothers, ce qui lui impulsa une nouvelle énergie. Le soir précédent,
le DJ du Fabrik avait passé la même chanson et Enzo se souvint avoir explosé
sur la piste et avoir bondi dans tous les sens.
Un
cab lui coupa la route et Enzo l’évita, non sans gratifier le gros cafard noir
d’un coup de pied sur l’aile, ce qui déclencha la colère du conducteur et un
tonnerre de klaxon. Mais Enzo était déjà passé et doublait à présent un bus
arrêté sur le bord de la route. Il s’approcha du croisement de Bank et
anticipait déjà le bordel qui l’attendait 500 mètres plus loin.
Bank,
8h du matin. Pandemonium.
En
arrivant depuis Cornhill, il devrait pouvoir se frayer un chemin entre les
voitures bloquées à ce putain de feu rouge épileptique qui rendait fou tout bon
londoner depuis l’invention de l’automobile, pour ensuite s’introduire dans le
flot provenant de Threadneedle St et de Lombard St.
Remonter
Poultry serait un jeu d’enfant dès qu’il aurait passé ce carrefour, mais Enzo
savait qu’il devrait la jouer fine et surtout ne pas ralentir.
Au
loin il aperçut le feu, et renifla un grand coup. Ses narines lui firent mal et
la douleur se propagea le long de ses sinus. Ways lui avait vraiment refilé de
la C de merde, et Enzo se promit d’engueuler son pusher dès qu’il le reverrait.
De toute façon, ça n’aurait pas changé grand chose. Ways avait toujours de la
mauvaise came le dimanche et Enzo le savait. La loi de l’offre et de la
demande. Ways dealait sa meilleure coke du vendredi au samedi et refilait sa
merde aux crackheads du dimanche soir qui allaient s’éclater les tympans sur
les basses du Fabrik.
En
traversant le carrefour, lancé à pleine vitesse, il ne prit pas le temps de
constater la couleur du feu qu’il venait de griller. En entendant une voiture
piler sur sa droite et le klaxonner, il en déduisit que le feu devait être
rouge, à la rigueur orange foncé. Ayant grandi à Naples, il avait appris depuis
longtemps à faire fi du code de la route et ne se retourna même pas pour
regarder l’accident qu’il venait d’éviter.
Au
contraire, il pédala de plus belle et monta en danseuse. Devant lui s’étendait
Victoria St. encastrée entre deux rangées de bâtiments informes et grisâtres
qui défilaient devant ses yeux comme une muraille. Une putain de muraille de
Chine. Enzo se sentait mongol aujourd’hui, prêt à partir à l’assaut de cette
monstruosité multiforme construite par un peuple de branleurs et que tout le
monde s’accordait à appeler London, the great capital of the World.
Il
préférait l’appeler Babylone. Mais c’était sa Babylone. Et il en connaissait
tous les recoins, tous les chemins de traverse, tous les peuples et toutes les
odeurs.
En
dépassant un camion de poubelle, il fut frappé par la puanteur qui s’en
dégageait.
Londres
daube la mort aujourd’hui, pensa-t’il avant de s’engouffrer entre deux files de
voitures arrêtées.
Il
ralentit au croisement de Queen St. avant de continuer tout droit sur
Cheapside.
Enzo
saisit sa gourde remplie de Red Bull et en avala une longue gorgée
médicamenteuse qui vint titiller le litre de café déjà présent dans son
estomac.
Dans
son casque, la musique changea à nouveau et les rythmiques acidulées de
Deadmau5 vinrent lui vriller le cerveau. La nuit prédédente, il s’était envoyé
une petite polonaise dans les toilettes de la boîte sur la même chanson et au
souvenir de cette étreinte, la peau de son gland se mit à l’irriter. Certes,
cette polak ne valait pas un pence à côté de l’Espagnole qu’il s’était envoyé
tout le reste de la nuit, mais il avait quand même trouvé ça excitant de lui
coller la tête contre la lunette dégueulasse des toilettes pendant qu’il la
prenait en levrette. Il se gratta les couilles, mais cela ne fit qu’accentuer
la sensation de démangeaison.
Après
avoir dépassé St Paul’s Cathedral et ses touristes matinaux, il déboula sur
Newgate St. et longea le Merryll Lynch Financial Center. Toutes ces banques et
ces compagnies d’assurance qui étalaient leurs richesses et leur pouvoir dans
cette capitale du Dieu Argent provoquaient un profond dégoût chez lui. Il ne
supportait plus de voir les tours de la City qui perçaient le ciel comme des
phallus géants.
Sur
Newgate, la route était plus large et le trafic moins condensé que sur
Cheapside, ce qui lui permit de relâcher un peu sa concentration. Enzo ralentit
pour se donner le temps de regarder sa montre.
8h10.
Il
avait déjà 5 minutes de retard et Holborn, sa destination, était à une bonne
dizaine de minutes. Son boss allait encore lui gueuler dessus, pour la
cinquième fois ce mois-ci.
Umut,
ce gros connard de turc, n’avait rien d’autre à foutre que de hurler
constamment sur ses coursiers, avachi dans son box en grignotant des Cheesy
Puff à longueur de journée. Enzo savait déjà qu’il allait y avoir droit, car le
client avait déjà du contacter l’agence pour se plaindre et il coupa l’émetteur
de son talkie-walkie pour s’éviter la rage d’Umut. Il savait qu’il pouvait dire
adieu à sa prime de la semaine.
Il
ravala un glaire qui mit longtemps à couler le long de sa gorge. En avalant sa
salive pour faire passer le goût, la sensation de manque l’assaillit. Ways lui
avait vraiment refilé une coke merdique, et il sentait maintenant le sang taper
dans ses tempes au rythme de la musique. Si la redescente le frappait aussi
tôt, Enzo savait qu’il lui faudrait toute la journée pour s’en remettre.
Avec
un coup de pédale rageur, il doubla toute une rangée de cabs arrêtés au feu du
croisement de Farringdon. En levant les yeux, il vit la masse grise et mouvante
des nuages qui le surplombait. Le soleil de Naples lui manquait. La plage, la
mer, la sensation de n’avoir rien d’autre à foutre que d’être là pour profiter
de la vie. Enzo essaya de ne pas y penser, de ne pas laisser la nostalgie
l’envahir, mais les images de sa ville natale continuaient à défiler devant ses
yeux. La sua Napoli, c’était surtout la misère, la crasse, le poids de la
Famiglia, pensa-t’il avant de se reconcentrer sur la route.
Il
contourna Holborn Circus en inclinant légèrement son vélo pour suivre une
trajectoire fluide avant de redonner un coup de pédale et de s’engager dans
High Holborn. La musique changea à nouveau et les derniers soubresauts de
Deadmau5 furent remplacés par la B.O de Requiem for a Dream remixée par Clint
Mansell. Enzo croyait se souvenir l’avoir virée de sa playlist, mais il ne la
changea pas malgré qu’il la trouvât trop commerciale.
En
doublant le 25, il réprima un sourire. Ce bus avait été son meilleur compagnon
de soirée pendant les trois années qu’il avait passé à Londres. Il continua à
rouler tout droit le long de cette avenue dont tous les bâtiments lui
évoquaient de gros gâteaux écoeurants.
Devant
lui, plusieurs voitures et quelques bus pilaient au milieu de la rue, sans
raison apparente. Enzo savait qu’il n’y avait pas de feux rouges jusqu’au
croisement d’Holborn et de Kingsway, 500 mètres plus loin. Il ralentit un peu,
par précaution, mais ne s’arrêta pas. Il vit du coin de l’oeil les conducteurs
des voitures sortir de leurs véhicules et plusieurs passagers se vomir d’un bus
arrêté et courir en tout sens, tandis qu’il s’engageait déjà sur la buslane
couleur brique. Enzo sentit que quelque chose n’allait pas, mais il était déjà
trop en retard pour pouvoir se permettre le luxe de réfléchir.
Il
posa juste le pied à terre, le temps de se déporter sur la gauche et de monter
sur le trottoir pour dépasser le bus par l’intérieur. En tournant la tête pour
comprendre ce qui avait pu créer une panique si manifeste chez les passagers,
Enzo n’eut que le temps d’apercevoir un homme dressé, les paumes tournées vers
le ciel, au milieu du bus vide.
Le
souffle de l’explosion propulsa Enzo contre la vitrine blindée de la Lloyds
TSB, et il sentit tous les os de son corps éclater sous le choc, avant de
perdre connaissance et de s’étaler sur le sol comme une poupée de tissu.